Carte postale sonore de 2003.
6 minutes de voyage dans la mémoire de l’été 2003 durant lequel j’ai enregistré des histoires et paysages sonores de ma vallée franco-italienne, la Roya.
( Ce mix fait partie d’un plus long voyage sonore, JEU DE PASSAGE. C’est la 7e track du mix )
J’ai composé ce petit mix en 2003 avec mes enregistrements de mon village ancestral, la Brigue, et de ses environs.
On entend les paroles et le chant d’Ido ( la reverbe y est naturelle. Nous étions tous les deux assis dans un ancien blocaus où il s’est réfugié durant la seconde guerre, au dessus du village).
On entend le récit d’Aline et le son des blés fauchés par Joseph, son mari en équipe avec Jean Pierre.
On entend le chant de Fady accompagné de sa kora.
On y entend les cloches de l’église de la Brigue et le murmure de la fontaine de San Bastian.
Parfois, on entend la respiration haletante de Speedy, le chien de ma tante :)
Et puis les insectes, le vent, … toutes ces traces du vivant.
2003-2022. Un peu de l’histoire derrière ce mix. Un peu de l’histoire sur mon appel à le retrouver dans mes archives et à le partager maintenant.
Juillet 2003:
J’ai passé le mois de juillet 2003 au village de mes ancêtres, la Brigue, dans la vallée de la Roya. Mon ami musicien et sound designer Luc Martinez et moi étions invités à faire des captations sonores pour le Musée local du Patrimoine.
Ma famille paternelle est originaire de ce village depuis nombreuses générations (tous bergers). Cet été là, remplissant encore mon rôle d’étrangère intime - le fil rouge de ma vie- j’ai passé mon temps à écouter les anciens me conter la vie d’antan dans ces alpes méditerranéennes. Me dire la dureté de la seconde guerre sur cette ligne frontalière franco-italienne et son issue bouleversante puisqu’en 1947 le village et quelques autres de la vallée ont littéralement changé de nationalité, passants d’italiens à français… Beaucoup d’histoires puissantes qui m’ont été offertes cet été là… souvent accompagnées par des verres de génépi maison, prompt à délier le flow des souvenirs.
Ce village, cette vallée, ces montagnes, ce sanctuaire rayonne d’une grande force d’attraction. Constamment, il attire des êtres aux ondes-mondes qui lui ressemblent. Comme mon ami musicien Fady Zakar rencontré cet été 2003, qui m’a offert ce chant à la kora posé dans ce petit mix.
Octobre 2020:
Une énorme tempête a détruit la vallée de la Roya et sa jumelle, la Vésubie. Les plus infimes ruisseaux sont devenus des autoroutes. De toutes parts, les eaux ont traversé, emportant vers la mer, 60 kms plus bas, maisons, routes, vies humaines, vies animales, vies végétales. Depuis ce 2 octobre 2020, le paysage des vallées est autre. Paysage géographique. Paysage social. Paysage matériel. Paysage émotionnel.
La catastrophe a ouvert des plaie et des nouveaux chemins. Beaucoup ont quitté la vallée. D’autres ont décidé d’y revenir, de s’y installer, d’insuffler à ces lieux la vie et l’attention qu’ils appellent depuis longtemps .
L’étymologie du mot “ catastrophe” indique un “changement de direction”.
Juillet 2022 . Maintenant:
Je retrouve ma vallée et mon village après 3 ans d’absence, parce que frontières fermées, etc.
À mon tour de découvrir cette nouvelle géographie . Les plaies toujours ouvertes et les cicatrisations en cour. Comme tout le monde, je suis moi aussi forcée de mettre mes souvenirs au présent. Certains de mes espaces d’enfance, terrains de jeu de générations en générations, sont rayés de la carte. La nostalgie se pointe souvent. Je la respecte, la laisse me traverser et choisi de ne pas l’habiter. Un nouveau temps a commencé. Ici et partout. On le sait bien. Au moins, on le sent..
En effet, l’univers me propose clairement de mettre l’histoire Présent. En moins de 24 heures, j’ai retrouvé Fady et Aline, deux êtres dont les voix co-habitent ce mix et qui pourtant ne se connaissent pas. Je ne les avait pas retrouvé sur ces terres depuis 2003. Et hop, jaillissant sous mes yeux , un cycle de 19 ans!
Ido et le chien Speedy sont morts depuis. Joseph le mari d’Aline, lui aussi a rejoins l’invisible. Aujourd’hui, Aline m’a appris que la tombe de Joseph avait été emportée par la tempête de 2020. Le cimetière longeait la rivière. Il est lui aussi parti vers la mer. Aline m’a dit combien c’était dur durant ces deux dernières années de ne pas pouvoir se recueillir sur la tombe de celui qu’elle appelle toujours “ son grand amour”, de l’imaginer partout et nulle part dans la rivière qui descend la vallée. Tellement dur qu’elle a longtemps renoncé à venir au village. Aujourd’hui, elle m’a dit qu’enfin, elle parvenait à mieux vivre à la Brigue, là où ses enfants et petits enfants continuent à faire pousser la vie. Aline ressent la présence de Joseph au-delà de sa tombe. Dans l’âme du village, dans les montagnes. Partout .
Comme elle me disait 19 ans plus tôt, “il y a toujours des traces“.